Le Taoïsme (« dào jiào », enseignement de la Voie) est la religion de la Chine. Il est parfois considéré en Occident comme une simple philosophie de vie ; n’étant pas théiste.
Plongeant ses racines dans la culture ancienne de la Chine, le Taoïsme se fonde sur des textes, dont le Dao De Jing (Tao Te King) de Laozi (Lao-tseu), et s’exprime par des pratiques, qui influencèrent tout l’Extrême-Orient. Il apporte entre autres :
- une mystique quiétiste, reprise par le Bouddhisme Chan (ancêtre du Zen japonais que pratiquait Mikao Usui) ;
- une éthique libertaire, qui inspira notamment la littérature ;
- un sens des équilibres yin yang, poursuivi par la médecine chinoise et sa psychologie ; et
- un naturalisme visible dans la calligraphie et l’art.
I. Définition du Taoïsme.
Le terme « Taoïsme » recouvre des textes, des auteurs, des croyances et pratiques, et même des phénomènes historiques qui ont pu se réclamer les uns des autres, répartis sur 2.500 ans d’histoire ; il est toutefois difficile d’en offrir un portrait unifié de l’extérieur.
La catégorie « Taoïsme » est née sous la dynastie Han (-200~200), bien après la rédaction des premiers textes, du besoin de classer les fonds des bibliothèques princières et impériales. « Dào jiā » ou « dào jiào », école taoïste, distingue à l’époque une des écoles philosophiques de la période des Royaumes combattants (-500~-220). École est ici à entendre dans son sens grec, voire pythagoricien, d’une communauté de pensée s’adonnant aussi à une vie philosophique ; n’y voir qu’un courant intellectuel est un anachronisme moderne. Mais cette école ne fut sans doute que virtuelle, car ses auteurs, dans la mesure où ils ont vraiment existé, ne se connaissaient pas forcément, et certains textes sont attribués à différentes écoles selon les catalogues.
De plus, les auteurs réunis a posteriori sous la même rubrique Taoïsme peuvent avoir sur leurs orientations fondamentales des vues tout à fait opposées : le Laozi contient les principes d’une recherche de l’immortalité alors que le Zhuangzi la critique comme une vanité ; le Laozi est en partie fait de conseils à l'usage du Prince alors que le Zhuangzi est très critique à l'égard de l'action politique, etc. Le Taoïsme est donc essentiellement pluriel.
Durant la période des Trois Royaumes (220~265), les termes dào jiā et dào jiào divergent, le premier désignant la philosophie et le second la religion. Car la catégorie a vite englobé des croyances et pratiques religieuses d’origine diverse, comme l’évoque Isabelle Robinet dans « Histoire du Taoïsme : des origines au XIVe siècle » :
« (...) le Taoïsme n’a jamais été une religion unifiée et a constamment été une combinaison d’enseignements fondés sur des révélations originelles diverses (…) il ne peut être saisi que dans ses manifestations concrètes ».
Le Taoïsme est-il une philosophie ou une religion ? Les deux, peut-on dire. Il a, en tout cas, toujours eu des expressions intellectuelles tout autant que culturelles, mais en diverses proportions selon les époques, et surtout, les classes sociales.
Par exemple, sont évoquées le plus souvent les conceptions antiques du Zhuangzi (Tchouang Tseu) et du Dao De Jing (Tao Te King), car ces textes continuent d’inspirer la pensée chinoise, ainsi que l’Occident, avec des thèmes comme le Dao (Tao) ; la critique de la pensée dualiste, de la technique, de la morale ; dans une éloge de la nature et de la spontanéité.
Mais le Taoïsme ne se limite pas à ces grands textes célèbres. On trouve des pratiques taoïstes, concentrées sur le moyen-âge chinois (les six dynasties, 200~400). La période permet de révéler des techniques mystiques, des idées médicales, une alchimie, des rites collectifs. Leur élaboration a commencé bien avant et s’est poursuivie ensuite. Il est possible que Mikao Usui ait été instruit de ce corpus, la stèle de Saihoji en donnant l’indication lacunaire. On sait également que ce dernier voyagea en Chine.
Si le Taoïsme est également une philosophie, ce n’est évidemment pas dans le sens où Socrate et les philosophes grecs peuvent l’entendre, car le mot même de philosophie, « zhe xue », n’apparaît dans la langue chinoise qu'au détour des influences japonaises, au début du XX° siècle. Si la philosophie est une recherche de la vérité au moyen du verbe, du Logos, alors le Taoïsme n'est pas une philosophie ; car la vérité n'est pas son point de mire et le langage est loin d'être son instrument privilégié. Par contre, si le terme philosophie désigne un type de discours enveloppant une vision du monde (sens large), alors, bien sûr, le Taoïsme peut être considéré comme une philosophie.
Si l'on s'entend pour dire que le Taoïsme propose des exercices et un style de vie qui permettent de relier ou d'harmoniser le yin et le yang, la terre et le ciel, c'est-à-dire le visible et l'invisible, alors en ce sens, il peut être considéré comme une religion. Mais c'est évidemment là une réponse rapide, qui fait abstraction des aspects complexes du terme religion, enveloppant un réseau complexe de questions : problème de la transcendance, d'un rapport à un Dieu ou à des dieux, problème de la révélation ou d'un accès à une vérité révélée, problème de sa dogmatique, problème de son organisation ou de sa structure hiérarchique, etc. Il convient donc de cherche plutôt quelles sont les idées taoïstes essentielles, et de là en chercher la trace dans le Reiki.
II. Idées du Taoïsme.
Quatre grandes idées animent le Taoïsme :
- suivre la voie, qui est essentiellement celle de l’harmonie naturelle ;
- de là, on peut atteindre la plénitude de vie ;
- une fois cette plénitude atteinte, on doit laisser faire la nature, qui est sage et équilibrée, toute intervention humaine étant potentiellement dangereuse ;
- en suit un rejet de la civilisation, et le retour de l’homme à sa condition originelle naturelle.
De telles idées semblent aller à l’encontre de la civilisation impériale, et c’est bien le cas. Il faut se souvenir que le Taoïsme ne vise pas à élaborer une structure d’Etat, avec l’Empereur et ses bras respectivement temporel et spirituel ; c’est le Confucianisme, autre religion de la Chine, qui vise à cette morale. Le Taoïsme n’est pas une religion au sens où peuvent l’entendre les Occidentaux, c’est à dire une autorité imposant des vues sur la manière de vivre en collectivité de sédentaires. Tout ceci est acquis de longue date par les Chinois, et ce qu’ils attendent, c’est un banquet, comme nous l’avons déjà indiqué, c’est à dire le moyen de « souffler » des charges sociales.
La structure de la société est acceptée et assumée par les Chinois, et ce que propose le Taoïsme est un enseignement initiatique. L’Empereur connaît ainsi un double rôle :
- un rôle extérieur, au sommet de la hiérarchie sociale, où il célèbre les rites et ordonne le monde par son action ;
- un rôle intérieur, comme fondement de la hiérarche initiatique, où il incarne l’homme naturel ou véritable. A vrai dire, cette fonction est symbolisée normalement par l’Impératrice, sa parèdre.
Ce n’est que lorsque l’institution impériale assume ces deux rôles en plénitude, que l’Empereur est qualifié par le Taoïsme « d’Homme universel ». Nous reviendrons sur ces notions, que les Occidentaux ont bien du mal à saisir. En effet, pour eux, la hiérarchie sociale est assimilée à une exigence de la religion, dont ils entendent se libérer pour retrouver l’état naturel. C’est tout le contraire pour les Chinois.
Nous verrons, à propos des liens entre Reiki et Bouddhisme, que cette attitude occidentale est hautement critiquable. Soulignons que l’Occident n’est jamais parvenu à fonder une civilisation stable bien longtemps, comme le fît la Chine pendant des millénaires, et qu’au final l’homme naturel occidental est plutôt un pervers intégral qui, partout, a semé chaos, souffrance et crime. L’Occident attribue ce défaut aux Chinois, longtemps représentant la race inférieure et cruelle. C’est là un comble et nous allons le démontrer à la suite.
Partant de la constation de l’harmonie naturelle, le Taoïsme reconnaît sa valeur à l’institution sociale et ne la conteste pas. Toutefois, il la sait un simple moyen, qui doit être abandonné le temps voulu ; c’est à dire lorsque l’homme a accompli son devoir au sein de la collectivité. L’initiation lui offre alors le moyen de se défaire de la coquille imposée par ce système, pour retrouver la voie naturelle.
La sédentarité est en effet un mode génial de vie en collectivité, elle fédère les moyens et distribue les dividendes selon les mérites et les besoins individuels. On a ainsi parlé de « société communiste hiérachisée idéale ». Toutefois, ce moyen n’est pas une fin en soi et les arts taoïstes internes offrent à l’individu de dépasser son masque social pour retrouver son identité première. Voyons comment à la suite ; la question semblant bien un écho à l’expérience de Mikao Usui.
En effet, alors qu’il est au cœur du dispositif meijiste dont il fait même la promotion à l’étranger, Mikao Usui expérimente une crise intérieure sur son identité. L’issue en sera la révélation du Reiki. Et il faut bien avouer que dans le cadre du Taoïsme, c’est là une finalité heureuse, mais néanmoins normale, à la vie humaine.
Le type de sagesse, qu’est le Reiki, est plutôt normalement transmis en famille en Chine, dans le cadre du culte des ancêtres. Ce qui fait la particularité du Reiki, c’est le choix de Mikao Usui d’universaliser son expérience :
« C’est une vieille coutume d’enseigner à ses descendants de tout faire pour conserver sa famille en bonne santé. Spécialement dans nos sociétés modernes dans lesquelles nous sommes amenés à vivre, et avec le souhait de partager avec tous le bonheur de prospérer ensemble, dans le respect mutuel. Aussi, j’ai demandé à ma famille de ne pas garder cette méthode pour elle seule, comme c’est normalement le cas au Japon où les secrets se transmettent seulement au sein du clan. Ma méthode de soin naturel est originale, elle n’a rien de comparable dans le monde. Aussi, j’ai souhaité livrer cette méthode à tout le monde dans l’espoir que chacun en tire un bénéfice et voit ses bons vœux réalisés ».
La méthode, qui est le fruit de l’expérience de Mikao Usui, présente, en effet et en plus du pouvoir de guérison généralement observé, bien des traits communs avec la conception taoïste.
1. Le Reiki est un voie qu’il est permis de suivre, sans se soucier de son origine et de la réalisation qu’elle promeut. La méthode de Mikao Usui est un « Do », c’est à une art de vivre ; voire même un « Ido », une science de la santé physique et psychique. Le Taoïsme fonctionne de même.
2. Le Reiki repose sur la dialectique du vide, à laquelle Mikao Usui fait référence à propos de l’intuition (Prajnaparamita) que sa pratique génère. Tout comme le Taoïsme ; bien que Mikao Usui utilise un terme bouddhique.
3. Le pratiquant doit laisser le Reiki faire et agir, sans conceptualiser l’expérience, ni intervenir autrement que sous l’influence de cette intuition surgie du vide pour ressentir les maladies, imposer les mains, exercer des frottements ou de petits coups ou encore visualiser les symboles. En ce sens, le Reiki ne peut être un enseignement académique, avec des postures figées et des diagnostics ; tout comme le Taoïsme. Comme l’indique le réseau Protéus :
« Usui et son successeur Hayashi auraient (donc) ouvert la porte à deux transformations majeures dans le monde du mysticisme et dans le domaine médical :
1 - Tout en conservant l’aspect mystique des initiations, des rituels et des symboles secrets, ils ont retiré de l'approche toute exigence de démarche spirituelle personnelle.
2 - Ils ont introduit le mysticisme dans la pratique médicale : la guérison provenant d’interventions « énergétiques » et la formation ne consistant pas en un enseignement de type académique ou technique ; mais en une série d’initiations ritualisées transmises de maître à disciple » en vue de transmettre aux étudiants non pas un seul savoir-faire mais aussi une sagesse et une intellectualité spécifiques (nous connaissons ces aspects en Occident lorsque nous parlons de « maître à penser »).
4. Le Reiki permet de vivre dans les sociétés modernes, qui sont essentiellement désacralisées et donc pathogènes du point de vue de la conception synarchique, particulièrement en Occident où toute idée de tradition et de devoir social est rejetée au profit de la subjectivité de chacun et de droits que tous revendiquent. Le Reiki est alors un moyen de penser clairement et conformément à la vérité naturelle et de garder son corps en bonne santé, comme l’indique Mikao Usui. N’est-ce pas là ce que propose le Taoïsme, en marge de la société impériale et de ses lourdes charges ?
Voyons cela.
A. Suivre la voie.
La recherche de la sagesse en Chine se fonde principalement sur l’harmonie. L’harmonie, pour les Taoïstes, se trouve en plaçant son cœur (et sa conscience, le caractère chinois du cœur désigne les deux entités) dans la Voie (le Tao) ; c’est-à-dire dans la même voie que la nature. En retournant à l’authenticité primordiale et naturelle, en imitant la passivité féconde de la nature qui produit spontanément les « dix mille êtres », l’homme peut se libérer des contraintes sociales, de ses émotions et autres pensées, pour « chevaucher les nuages ».
Prônant une sorte de quiétisme naturaliste, le Taoïsme est un idéal d’insouciance, de spontanéité, de liberté individuelle, de refus des rigueurs de la vie en collectivité et de communion extatique avec les forces cosmiques. Ce Taoïsme des grandes chevauchées mystiques a ainsi servi de refuge aux lettrés marginaux, ou marginalisés par un bannissement aux marches de l’Empire, aux poètes oubliés, aux peintres reclus... et fascine aujourd’hui bien des Occidentaux. Cette fascination a t-elle exercé son emprise sur Mikao Usui, à un moment de sa vie où son existence ne semblait n’avoir aucun but ?
Pour se libérer des contraintes sociales, le Taoïste peut fuir la ville et se retirer dans les montagnes, ou vivre en paysan. Dans les « Entretiens de Confucius », un texte taoïste important, on trouve déjà cette opposition entre :
- d’une part ceux qui assument la vie en société et cherchent à l’améliorer (les Confucianistes) ; et
- d’autre part, ceux qui considèrent qu’il est impossible et dangereux d’améliorer la société, qui n’est qu’un cadre artificiel empêchant le naturel de s’exprimer (les Taoïstes) ; c’est à dire une dialectique peut-être analogue à la question de « l’engagement de l’intellectuel » comme nous la connaissions en Occident.
Zhuangzi a des images frappantes : un arbre tordu, dont le menuisier ne peut faire de planches, vivra de sa belle vie au bord du chemin, tandis qu’un arbre bien droit sera coupé en planches, puis vendu par le bûcheron. L’inutilité est garante de sérénité, de longue vie. De même l’occupant d’une barque se fera insulter copieusement s’il vient gêner un gros bateau, mais, si la barque est vide, le gros bateau s’arrangera simplement pour l’éviter. Il convient donc d’être inutile, vide, sans qualité, transparent, de « vomir son intelligence », de n’avoir pas d’idées préconçues et le moins d’opinions possible.
« Abandonnez ce que vous ne portez pas », enseigne un koan japonais. Ayant fait le vide en soi, le sage est ainsi entièrement disponible et se laisse emporter comme une feuille morte dans le courant de la vie. Il réalise l’injonction du Yi-King : librement « s’ébattre dans la Voie ».
On retrouve dans cette description un avant-goût de la philosophie de la retraite de Mikao Usui sur le mont Kurama : se laisser porter par la nature pour découvrir sa place naturelle. C’est ainsi que, alors que rien ne l’y dispose (ni études médicales, ni pratique thérapeutique antérieure) que Mikao Usui obtient un pouvoir de guérison. Alors que sa vie a été une suite d’échecs, il s’abandonne et découvre un nouveau moteur d’existence, qui l’entrainera dans un tourbillon de conférences et d’ateliers de son vivant, avec une immense popularité après sa mort, et dans le monde entier.
Reste que le Reiki est loin de pousser au retrait du monde, et en ce sens, il converge bien plus avec le Bouddhisme et sa notion de « Dharma » (devoir personnel et social). Nous aurons l’occasion d’y revenir et de constater que les cinq Principes du Reiki sont un produit typiquement bouddhique.
B. La plénitude du vide.
La plénitude du vide pourrait passer pour un paradoxe purement formel, un pur jeu de l’esprit. Le chapitre XI du Dao De Jing fournit des analogies plus éclairantes : la roue tourne par le vide du moyeu ; la jarre contient d’autant plus qu’elle est creuse ; sans les trous des portes et fenêtres, à quoi sert une maison ? La page se conclut par une formule que l’on peut traduire : « du plein, le moyen ; du vide, l’effet ».
Cette interprétation volontairement abstraite trouve une application universelle, par exemple, en stratégie militaire. « L’Art de la guerre » de Sunzi présente un chapitre, au titre paradoxal « du plein et du vide », où le guerrier explique très concrètement comment un Général doit disposer du lieu de bataille (le plein) comme un potentiel (les moyens), de passes ou d’entrées (des vides) où il attire l’adversaire de son plein gré pour le battre avec le moindre effort (l’effet). La fable du coq de Zhuangzi, qui vaincra sans combat, est une autre illustration de la vertu supposée du vide intérieur.
L’inutilité sociale, l’absence de qualités effectives qui est présence en puissance de toutes les qualités possibles, la vacuité d’un cœur libéré de tout souci mondain, sont les aspirations les plus courantes de la voie taoïste. On peut se retirer du monde pour s’en approcher, mais ce n’est ni nécessaire, ni suffisant. Pour réaliser cette libération, pour « trouver la Voie », un des moyens possibles est l’utilisation des paradoxes. Il y en a beaucoup dans le Dao De Jing : c’est sans sortir de chez soi qu’on connaît le monde ; c’est en ne sachant pas qu’on sait ; c’est quand on agit le moins que son action est la plus efficace ; la faiblesse est plus forte que la force ; la stupidité marque l’intelligence suprême ; ou la civilisation est une décadence.
Le but de ces paradoxes semble d’abord de briser la pensée conventionnelle, de rompre les chaînes logiques et casser le sens des mots, comme le cultivera plus tard le Bouddhisme Zen du Japon. C’est aussi une arme polémique contre les doctrines qui s’instituent, par exemple le Confucianisme. Mais il y a certainement aussi, comme pour le paradoxe du vide, une manière de pratiquer ces paradoxes qui apporte une efficacité, justifiant l'intérêt encore porté à ce texte. Son secret semble un mystère vivant, et non pas une mécanique vide. C’est là la raison qu’il vaut mieux laisser faire les choses d’elles-mêmes.
C. Le laisser-faire.
Si on « laisse faire » la nature et ses dix mille êtres, ils croissent et se multiplient. Si on ne cherche pas à gouverner les hommes, ils s’auto-organisent spontanément de la meilleure façon possible. Cette idée qui peut sembler libertaire, ou tout du moins libérale, doit être remise en contexte. Le Dao De Jing est également, en effet, un manuel de politique magico-mystique.
Le Taoïsme se fonde sur l’antique croyance chamanique d’une action efficace du Prince par le jeu des correspondances entre les microcosmes et le macrocosme. Ainsi le simple fait pour celui qui dispose du « Mandat du Ciel » (l’Empereur) de décrire dans sa maison la suite des saisons en déménageant régulièrement d’une salle à l’autre, assure que la pluie viendra à son heure féconder les champs, que l’hiver durera le temps voulu, etc. L’inaction apparente n’empêche pas l’action effective.
Si la circulation saisonnière dans sa maison assure la bonne marche de l’Empire, c’est parce qu’il y a « résonance » et effet d’entraînement - ou d’engrenage - entre la maison du Prince et son Empire. C’est-à-dire que la maison du Prince est conçue comme une représentation « homothétique » du monde. D’ailleurs, les éclipses, famines ou inondations sont interprétées aussitôt comme un dérèglement des mœurs dans la maison du Prince .
Le « laisser-faire » ou « wu-wei », au sein de l’individu, a une grande portée dans le Taoïsme, qui s’attache à cultiver l’efficacité particulière qui découle de l’absence d’intentions. L’activité de certains artisans est minutieusement décrite par Zhuang Zi. Il montre un boucher ou un charron qui ont acquis la plus grande maîtrise de leur art après des années d’apprentissage, mais surtout, ils peuvent oublier les règles et la matière qu’ils travaillent, conduits par le Tao. Ils laissent les gestes et leur corps opérer seul, sans intention consciente de la volonté. L’art le plus humble permet à tous d’atteindre un absolu. On retrouve cette idée dans le Reiki, où la guérison est guidée par l’intuition, développée dans la pratique de la méthode.
Le Confucianisme, qui s’est opposé au Taoïsme en Chine, préférait restaurer les hiérarchies :
« Même subalternes, tous les arts et les places sont respectables. Mais à trop vouloir y chercher, on s’y enferme. L’honnête homme n’aura pas de métier ».
On rencontre tous les jours des situations qui montrent que le vouloir peut interférer avec l’action du corps et produire des œuvres ratées. Une part d’« inconscience » est souvent nécessaire pour peindre, écrire, sculpter, chanter. Qui veut bien faire n’arrive au mieux qu’au médiocre. Pour un créateur, aspirer au Beau ne conduit souvent qu’à des œuvres, qui sentent la sueur et la colle. Voilà un des paradoxes humains des plus fertiles décelés par le Taoïsme, et tout l’art chinois, ainsi que sa critique, s’en ressentent.
Le Reiki, avec cette part d’inconscience, car finalement on ne sait pas comment il opère et ce qui se passe lors des soins (en particulier les soins à distance), s’inscrit bien dans ce laisser-faire taoïste, que le Zen aura reçu du Taoïsme. Mikao Usui l’affirme lui-même : sa méthode consiste premièrement à soigner notre manière de penser, qui doit être saine et en accord avec la vérité (l’harmonie naturelle). De là, il est possible de maintenir son corps en bonne santé.
Ce paradoxe taoïste est celui du Reiki : sans médicament, sans rien faire, simplement allongé, le patient reçoit l’imposition des mains. Et dans cet instant dérisoire, c’est toute l’harmonie cosmique qui se rappelle à lui pour le guérir. On verra lors de l’étude des explications scientifiques du Reiki (au tome 3), que cet exercice n’a rien de loufoque. Nous sommes malades de nos habitudes de pensée perverses et la méthode de Mikao Usui entend nous en débarasser en nous immobilisant un instant, loin du jeu de masques de notre vie sociale.
Car, en effet, être bien intégré dans une société malade, n’a jamais été le signe d’une bonne santé mentale. Nous l’oublions, pour jouir du confort matériel de nos sociétés décadentes ; mais nous en tombons malades. La nature a ses lois et elle rappelle vite son équilibre fondamental : tout déséquilibre est immédiatement compensé par un autre au sein de la grande chaîne des relations entre les êtres. C’est ainsi que la civilisation, avec ses artifices, doit être équilibrée par un contre-courant en son propre sein. Et ce contre-pouvoir est l’initiation.
C’est parce que l’Occident a perdu les clefs de sa science cachée, c’est à dire que son autorité spirituelle a été déchue pour avoir persécuté ceux chargés de l’initiation, que sa religion a été subvertie par la noblesse (renversée à son tour par les marchands) et que se sont imposées les contre-initiations à l’époque moderne. L’initiation authentique était principalement animée, au Moyen-Âge, par la Chevalerie et l’Ordre des Templiers.
Lorsque le roi de France Philippe IV (le Bel) et le pape Clément convergent pour anéantir l’Ordre, ils marquent l’oubli par l’Eglise de l’ésotérisme chrétien et également la fin de l’initiation seigneuriale. La « malédiction » de Jacques de Molay est un constat amère. Le sort fatal de la civilisation occidentale est déjà scellé. L’Occident est mort à Paris, sur l’Île aux Juifs, le 18 mars 1314. Déchue, sa civilisation ne pourra désormais plus être que rejetée : le départ est donné des conquêtes maritimes et de ce qui sera appelé la colonisation, c’est à dire essentiellement la fin de la société traditionnelle médiévale et la fuite des Occidentaux vers d’autres cieux. C’est cette explosion sociale que redoutait le Taoïsme et qu’elle a su encadrer. Voyons comment.
D. Le rejet de la civilisation, comme retour au charisme naturel.
Alors que la plupart des personnages de la mythologie chinoise sont des héros civilisateurs, qui ont donné aux hommes les inventions (agriculture, irrigation, médecine ou l’écriture), le Taoïsme s’affirme contre la technique.
Pour l’illustrer, une parabole de Zhuang Zi met en scène un paysan taoïste qui, bien que connaissant l’usage du « chadouf » (qui lui économiserait beaucoup de temps et d’énergie pour arroser ses champs), aurait « honte de s’en servir », parce que cette technique artificielle va à l’encontre de la nature.
Allant dans le même sens, le paragraphe 80 du Dao De Jing propose un « retour aux cordes nouées » (ancêtres des systèmes d’écriture). Ce même texte va plus loin : des villageois ne rencontrent pas de toute leur vie les villageois du hameau, qui est à portée de vue. Si l’on suit cet enseignement, la société, proposée par Lao Zi comme idéal de simplicité, est une constellation de villages autonomes sans liens entre eux et des humains sans curiosité, ni pour les outils permettant de leur faciliter la vie, ni même pour le monde extérieur. On ne sait pas ce qui dans l’intention tient du paradoxe à la provocation calculée, d’un choix individuel, ou réellement d’un projet politique.
Ainsi le paragraphe 3 dans les traductions européennes invite à lire « Vider les têtes, remplir les ventres » comme un conseil au Prince selon l’idéologie réactionnaire la plus pure, puisque le retour au passé invoqué est celui d’un mythe. L’ignorance du peuple assurerait un pouvoir invisible et actif, sans rien faire.
Mais traduire du chinois poétique aussi ancien tient souvent de l’interprétation, influencée par l’héritage d’une tradition, ici, confucéenne. La phrase complète a aussi été lue dans les milieux taoïstes comme une technique mystique :
« le saint agit en vidant son cœur, nourrissant le nombril ; il abandonne le vouloir, pour affermir ses os ».
Cœur et tête sont un même caractère, la respiration abdominale est censée nourrir le nombril, pratique clairement admise ensuite comme contribuant à la longévité : la persistance des os. Ce petit exemple indique les limites d’une interprétation close des textes taoïstes, et qu’il faut en accepter la polysémie, d’abord dans les langues européennes, mais aussi pour le chinois.
L’attitude la plus prudente à l’égard de Zhuangzi et surtout du Laozi est de les lire comme des énigmes. Le sens n’a pas été épuisé en de nombreux siècles de tradition chinoise, l’Occident vient avec ses clés, qui ouvrent de nouvelles portes sur ses propres paysages ; mais elles ne permettent pas plus de les comprendre définitivement, ce qui est le propre des textes vivants.
La lecture du Dao De Jing a été continue, avec une longue histoire de commentaires, mais aussi de pratiques différentes du texte. Comme les classiques confucéens, il a été parfois au programme des concours mandarinaux, donc chargé d’un commentaire scolastique reflétant les préoccupations politiques d’une époque. Il s’y ajoute le destin des œuvres reconnues, mais à la marge, d’être servies par des génies individuels, un peu comme le Yi Jing. Enfin, il y a un usage très singulier pour l’histoire des religions de livres, le texte est sacré, mais pas d’auteur divin. Certains lui accordent les pouvoirs d’une magie, sans pour autant le cacher dans un ésotérisme puisqu’il est aussi lu publiquement. Ce prestige a en tous cas inspiré tout le Taoïsme postérieur.
Quoiqu’il en soit, le Taoïsme revèle ici sa contre-nature purement initiatique, à l’envers des contraintes de la civilisation. On retrouve ici le banquet romain, qui permet de retrouver le charisme naturel hors des contraintes de la civilisation. A ce titre, le banquet, comme la « fête de l’âne » du Moyen-Âge, marquent un temps où les charges sociales sont abandonnées, dans un élan égalitaire, et même inversées. C’est un espace, hors de la société et sa hiérachie, un temps de respiration, hors de la liturgie religieuse et des offices publics, où les hommes retrouvent entre eux un lien naturel d’égalité, sans contrainte, où ils peuvent laisser la nature agir d’elle-même en eux.
Une telle fête a lieu à Kurama-yama tous les douze ans et est marquée par l’illumination d’un versant de la montagne par un idéogramme « Daï » de feu, de plusieurs dizaines de mètres. Le but est de faire le vide, après un cycle astrologique complet (cycle de douze ans en astrologie chinoise). Nous connaissons ce rite avec nos « bonhomme-hiver » et « roi du carnaval », brûlés au final de la fête et marquant le retour du printemps.
Dans un tel moment hors des contraintes sociales, laisser faire la nature, en opérant le vide en soi, telle est la voie que propose le Tao. En ce sens, le soin de Reiki, avec son effet de vide et de chaleur mystérieuse, apparaît comme un pur produit de la mentalité taoïste, sans doute transmis au Japon par le Zen. Mikao Usui aurait pu être inspiré lors d’un de ses voyages en Chine, auxquels fait allusion la stèle de Saihoji. Il faudra donc chercher une preuve ailleurs, d’une source d’inspiration taoïste, et l’idéogramme Reiki fournit une excellente piste. On ne peut imaginer que le fondateur du Reiki, qui a lui-même choisi cet idéogramme, ait pu en même temps en ignorer le sens chinois. D'autant que la stèle en question indique que le maître nippon connaissait divers aspects de la culture continentale.
Extrait de "Reiki, médecine mystique de Mikao Usui",
Pascal Treffainguy, Luxembourg, 2001-2008.
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